Malaterre

Pierre-Henry Gomont

Dargaud

  • Conseillé par (Libraire)
    9 octobre 2018

    Une BD réussie pour un "héros" raté.

    Pierre-Henry Gomont nous emmène sur les traces d’un « connard sympathique », un père ignoble et odieux, qui va abimer sa famille dans sa quête d’un projet en Afrique équatoriale irréaliste et perdu d’avance. Riche comme un roman, beau comme une BD. Une réussite.
    Le conseil d'Eric.


    Ce qui est bien avec les grands dessinateurs c’est que l’on identifie rapidement leurs créations. Il en va ainsi de Pierre Henry Gomont. Dans sa précédente BD « Pereira prétend », on avait appris à reconnaître ses traits noirs plein de circonvolutions, comme jetés rapidement sur le papier, sans le répit de la moindre ligne droite, dans un apparent fouilli. Gomont, pose ses couleurs de la même manière, traçant des nuages moelleux comme des oreillers, privilégiant les ocres qui restituent la chaleur de Lisbonne ou dans « Malaterre » d’une forêt tropicale. La luxuriance de la forêt, étouffante et grandiose, c’est ce qui attire certainement Gabriel, homme inconséquent, rêveur, et immature qui veut reprendre et reconstruire le domaine d’exploitation forestière « Malaterre » (mal à la terre?) abandonnée en 1929 par ses aïeux en faillite dans cette. Dire que Gabriel est un être détestable est un euphémisme même si en commençant par sa mort, Gomont nous donne quelques pistes pour comprendre son attitude envers son épouse notamment et ses trois enfants. Tout au long de ce roman graphique (rarement cette définition n’a autant parfaitement collé à une Bd), découpé comme un roman en chapitres, nous découvrons la vie de cet homme qui un jour va partir à la recherche d’un possible futur glorieux, abandonnant sa famille à ses chimères, avant de faire venir dans la forêt, de manière odieuse, les deux ainés de ses enfants dans la perpective unique d’une poursuite familiale de l’exploitation.

    Gabriel Lesaffre « faisait partie de ses personnes qui ignorent purement et simplement les sentiments, pour autant qu’elles ne les éprouvent pas elles mêmes ».

    Comme le dit l’auteur, « Gabriel fait tout pour qu’on ne l’aime pas et on l’aime quand même ». Cette ambivalence est une des forces de la BD. Au fur et à mesure du récit, les deux enfants qui l’accompagnent, à la fois pris en otage mais aussi parfois libres, prennent de l’importance, sous l’oeil d’un père témoin aveugle de leur évolution et de leur passage de l’adolescence à l’âge adulte.

    « Manier son petit théâtre d’ombres pour faire signer le clampin en bande la page, ça, Gabriel sait faire ».

    L’auteur, lui, sait magnifiquement mener son récit, riche en psychologie et en évènements. Il se révèle, sans l’aide cette fois ci d’un romancier, un véritable écrivain, un écrivain utilisant à la perfection les mots et leur apportant une dimension supplémentaire avec des dessins ouvrant encore plus les portes de notre imaginaire. Une définition parfaite de la Bande Dessinée.

    Eric Rubert.

    Chronique complète sur le site Unidivers.fr