La Villa du Jouir

Bertrand Leclair

Serge Safran éditeur

  • Conseillé par
    7 juillet 2015

    Bertrand Leclair - son mot préféré : « JOIE ! »

    Les mots en savent bien plus long que nous, au secret de nos phrases. Leurs racines puisent au terreau ancestral de la langue ; ils s'y ramifient à l'infini, s'appellent l'un l'autre, dans la grande contagion du sens.
    S'il en est un qui pourrait s'isoler dans sa beauté propre et son efficience, c'est bien celui de joie, une fois arraché à son apparat religieux - je dis apparat, je pense camisole.
    Alors, oui, le mot de joie, celui qui ouvre grand la bouche de qui le prononce, d'un trait d'un seul !
    La grande joie d'être au monde, serait-ce un instant fugace, cette chance que nous offrent parfois la littérature, comme l'amour, au partage du sens : la joie ou l'ouverture immédiate au présent du monde, au présent qu'est le monde, instant de grâce.
    De la joie au verbe ouïr - que j'oie le chant du monde ! - se pointe aussitôt un autre mot qu'on devrait écrire en lui mettant les deux point sur le i. «Jouïr», du latin gaudere, qui signifie précisément la joie, cette joie que l'on peut parfois se réjouir d'avoir éprouvée au cours d'une nuit de gaudrioles mais qui n'a pas grand chose à voir avec la notion de plaisir, sexuel ou pas. «Ah, oui ! Jouir ! C'est un mot que j'aime, un mot plein de joie, plein d'écoute, un mot qui fendille l'écorce individuelle, qui touche de l'autre», comme le susurre l'une des héroïnes de la Villa du même nom... Bertrand Leclair

    (Contenu publié avec la collaboration du site www.lesmotsdeslivres.fr)


  • Conseillé par
    29 janvier 2015

    Erotissimo !

    Marc est romancier et Hannah, qui l’aborde à la fin d’une table ronde à Berlin, est bien la lectrice la plus attirante qu’il ait jamais vue. A l’idée de terminer la soirée avec elle, il se rengorge, fier d’avoir séduit une si belle femme. « Un petit coq vaniteux, voilà exactement ce que j’étais ». Quand, plus tard lors de retrouvailles à Paris, elle avoue l’avoir séduit pour le compte d’une femme mystérieuse qu’elle appelle la princesse, Marc est tout autant vexé qu’intrigué. Hannah consent à lui donner quelques indications. La princesse est la femme d’un milliardaire russe, elle voudrait que Marc vienne passer quelques temps sur une île déserte où elle a édifié une maison dédiée au plaisir, la Villa du Jouir. Une fois là-bas Marc, comme les autres hommes déjà sur place, sera au service des femmes, recruté qu’il est pour assouvir le plaisir de la princesse, de ses dévouées assistantes Hannah et Hestia mais aussi celui d’amies de passage. La princesse promet à Marc de délicieuses soirées, et beaucoup d’argent : « Je suis persuadée que vous serez délicieux quand vous serez passé de l’autre côté du rideau des idées reçues sur le désir féminin, sur le vôtre aussi bien, sur la jouissance et son accomplissement ». Marc accepte, et se rend membre tendu dans ce coin de paradis où il doit apprendre à être un simple objet de désir. Il est flatté : alors que les autres hommes ont été uniquement sélectionnés sur leur physique, lui l’a été parce qu’il est aussi écrivain. La princesse veut qu’il profite de son séjour à la Villa pour écrire des nouvelles érotiques. Il est surprenant de voir à quel point, et avec quel plaisir évident, Bertrand Leclair passe d’un genre romanesque à un autre. Outre les essais, romans et récits qu’il a pu écrire par le passé, il suffit de regarder ses trois derniers livres pour se convaincre de sa virtuosité : « Malentendus », en 2012, était un roman très émouvant sur la vie d’un jeune sourd dans lequel il mêlait le récit de sa propre expérience de père d’un enfant malentendant, « Le vertige danois de Paul Gauguin » en 2013 était un délicieux récit sur un épisode méconnu de la vie du peintre, et aujourd’hui voilà cet inattendu roman érotique. Toujours, on retrouve une même envie de raconter, une même gourmandise des mots. Car la cohérence du travail de Bertrand Leclair est dans son style, cette phrase précise et fluide, son empathie avec ses personnages et sa capacité à nous embarquer dans ses histoires. Et il en faut, du style, pour s’attaquer à un genre si difficile, nous décrire dans le moindre détail les soirées auxquelles participe Marc, ses sensations et ses sentiments, sans tomber dans les clichés, la vulgarité ou la facilité. Partons donc avec Marc sur cette île fantasmatique. Ici, tous les codes sont renversés. Les hommes, esclaves consentants, attendent dans un sous-sol l’arrivée des femmes, « tournent fauves », rendus fous de désir, rivalisent pour être choisis –élus- par la princesse, accumulent les réactions infantiles. Les femmes dirigent, organisent, hurlent de plaisir et ne perdent pas pour autant de vue leurs intérêts. Car le but poursuivi est politique, la princesse travaillant en secret pour d’obscures révolutions africaines. Une nostalgie désespérée recouvre toutefois ce texte car lorsque Marc nous raconte son séjour dans la Villa, voilà bien longtemps qu’il en a été chassé. Le lieu n’est plus qu’un souvenir qui le torture, alors que les scènes qu’il a vécues là-bas continuent à le hanter. Il cherche désormais sur internet à localiser son île, sans succès. Il relit aussi sans fin les quelques pages qu’il avait rédigées sur place, seulement quelques pages car, là-bas, il était incapable d’écrire. Ainsi, et comme toujours chez Leclair, dans ce livre surgit soudain une interrogation purement littéraire : peut-on écrire la vie, peut-on écrire quand on vit ? Ou ne peut-on écrire que sur ses regrets ?

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